LES KOSOVARS PEUVENT ENFIN VOYAGER SANS VISA SCHENGEN

Le compte à rebours était enclenché depuis de longs mois. Au Kosovo, rares étaient les personnes qui ne trépignaient pas d’impatience à l’approche de ce 1er janvier 2024. Avec la fin des visas pour l’espace Schengen, ce passage à la nouvelle année est devenu synonyme d’une véritable libération pour les 1 800 000 Kosovars. «C’est un super changement pour le Kosovo, explique Blend, un lycéen de Pristina, la capitale, qui a compté les jours avant l’officialisation de cette toute nouvelle liberté de circulation. Cette libéralisation des visas, ça nous donne enfin la possibilité de voir de nouveaux pays, de nouvelles cultures, d’autres styles de vie.»

Derrière ce terme technocratique un peu obscur se cache un droit simple : celui de pouvoir voyager librement sur le continent, comme n’importe quel citoyen européen. Un droit qui était refusé aux Kosovars depuis de nombreuses années, alors que leurs voisins des Balkans avaient obtenu cette fin des visas pour l’espace Schengen au début des années 2010. «On se sentait comme dans un pays isolé parce qu’on nous refusait cette liberté de circuler, alors que géographiquement on est un pays européen ! s’indigne Uves 17 ans, qui a prévu d’aller prochainement visiter la France et de rendre visite à sa famille près de Zürich. Mais maintenant, on va enfin pouvoir voir ce qu’il y a hors de nos frontières et de celles des Balkans.»

Démarches longues et fastidieuses

Cette fin des visas avait pourtant été recommandée dès 2016 par le Parlement européen, et la Commission européenne avait donné son feu vert en 2018. Le Kosovo répond depuis longtemps à toutes les exigences administratives, mais les blocages politiques, et notamment celui d’Emmanuel Macron, n’ont cessé de repousser cette ouverture. Dans le pays, certains y ont vu l’influence de la Serbie, qui ne reconnaît toujours pas l’indépendance de son ancienne province. D’autres ont dénoncé une part d’islamophobie chez certains décideurs européens, alors que la société kosovare, à majorité musulmane, est profondément laïque.

Au sein de la jeunesse kosovare, l’une des plus europhiles du continent, les promesses non tenues de Bruxelles ont terni l’image de l’Union européenne. «On attendait, on attendait, et ils nous disaient : dans un an, puis : dans deux ans… On perdait la confiance, et l’espoir que ça aurait lieu un jour», raconte Aida, une étudiante de français de 23 ans. Les démarches longues, fastidieuses et incertaines pour l’obtention d’un visa Schengen avaient aussi un coût : 165 euros environ. Une somme considérable dans un pays où le salaire moyen n’atteint pas 500 euros. Résultat, au lieu d’aller rendre visite à leur famille en Suisse ou en Allemagne, deux pays où vit une importante diaspora, les Kosovars se sont contentés des pays «sans visa» de la région : Albanie, Monténégro, Macédoine du Nord, Turquie…

Exode

Mais dans un pays plus petit que l’Ile-de-France, où une personne sur deux a moins de 30 ans, cet isolement forcé a créé une profonde frustration. D’autant plus qu’avec son drapeau bleu à étoiles blanches et son hymne nommé Europe, le Kosovo est entièrement tourné vers le continent. Les jeunes Kosovars vivent mal cette mise à l’écart, et une certaine indifférence de leurs homologues européens qui associent toujours leur pays à une guerre qu’ils n’ont pas connue. «Quand j’allais en France et que je racontais qu’on avait besoin de visa, mes amis me demandaient si le Kosovo était en Afrique, sourit Elsa, 24 ans, dont une partie de la famille vit dans le sud de la France. Je leur répondais : “Non, non, c’est en Europe, mais on a toujours besoin de visas.” Ils étaient toujours étonnés de constater à quel point il fallait tout un tas d’argent, de paperasses et se préparer autant en avance.»

Pointant l’expérience des voisins des Balkans, beaucoup d’analystes prédisent un exode de la jeunesse, facilité par cette fin des visas. Au Kosovo, le salaire minimum est toujours en dessous de 300 euros, et la plupart des jeunes rêvent d’autres opportunités économiques. «Certains vont essayer d’émigrer en partant comme touristes, mais ils vont se rendre compte que l’Europe n’est pas le paradis du travail qu’ils s’imaginent, tempère Rron Gjinovci qui dirige une ONG dédiée à l’éducation. Beaucoup vont plus facilement trouver du travail légalement, comme en Allemagne qui recherche notamment des infirmiers. Mais je pense qu’en général, ces départs seront accompagnés d’une vague de retours car il y a de nouvelles opportunités ici.» Alors que leur pays n’est toujours pas reconnu comme candidat par l’UE, les Kosovars savourent déjà cette ouverture tant attendue vers le reste du continent.

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