LES SECRETS DE LA CASA ORGáNICA, UNE MAISON LABYRINTHIQUE SUR LES HAUTEURS DE MEXICO

Pendant vingt-cinq ans, l'architecte mexicain Javier Senosiain, sa femme Paloma, et leurs deux filles ont vécu à la Casa Orgánica. Progressivement, la famille s'est agrandie. Et la maison, qui avait à l'origine été conçue avec une seule chambre, aussi. Pendant la construction de l'extension, les ouvriers ont renommé le bâtiment « le requin » en raison de sa forme inédite. Javier Senosiain, qui s'est prêté au jeu, a alors décidé de lui rajouter un aileron. Mais ce n'est pas le seul secret que cette maison abrite… Conçue par Senosiain en 1984, la Casa Orgánica se situe le long d'une rue tranquille du quartier de Naucalpan de Juárez, dans la banlieue de Mexico. Dans la région, d'autres projets d'architecture biologique de Senosiain existent : la Nautilus House, une maison en forme de coquillage et le Nido de Quetzalcóatl, un complexe inspiré par la divinité du serpent à plumes. 

Pour créer sa propre vision de l'architecture organique, Senosiain s’est inspiré de l'éclectisme d'Antoni Gaudí et des structures modernistes de Frank Lloyd Wright. Ce style de construction, qui embrasse son environnement, est également inspiré de l'œuvre de Luis Barragán « mais surtout de la nature et des arts plastiques mexicains », explique l'architecte. Javier Senosiain est clair : pour lui, l'architecture organique est vouée à rappeler qu'il est important de se connecter à la terre. « Autrefois, l'homme était plus enraciné dans les éléments, plus en contact et en harmonie avec eux. Cette relation s'est malheureusement perdue dans notre environnement urbain… », raconte l'artiste. Sa philosophie s'ancre dans la rencontre harmonieuse entre l'habitat humain et le monde naturel. À la Casa Orgánica, on se balade pieds nus. Les murs incurvés donnent l'impression de pénétrer dans une grotte. Le sol est recouvert d'une moquette couleur sable qui évoque la terre. L'herbe verte électrique dissimule les baies vitrées… Bien loin des perceptions conventionnelles de l’architecture, cette maison est en osmose avec la nature. Elle s’intègre aux courbes du terrain, s’adapte à la terre, se fond en elle et imite ses courbes. Véritable fusion avec la nature. Senosiain est à l’initiative d’une casa qui, à travers ses formes libres, fait écho à la liberté. Rencontre. 

Rencontre avec L'architecte Javier Senosiain

AD : Quelle histoire se cache derrière la conception de cette maison insolite ? 

« Le concept de la maison était de définir deux grands espaces : un pour vivre le jour et un pour vivre la nuit. »

Javier Senosiain : « L'idée originale du projet s'appuyait sur la comparaison avec un embryon dans le ventre de sa mère ; deux vastes espaces lumineux, reliés par un long couloir étroit. Mais la conception de cette maison est surtout inspirée des besoins élémentaires des êtres humains : un espace commun pour manger, cuisiner et être ensemble, et un autre espace plus privé pour dormir, se laver et s'habiller. »

AD :  Au mois de février, la Casa Orgánica fêtera ses trente-neuf ans. Comment expliquez-vous que sa modernité persiste ? 

« À l'époque, j'étais très préoccupé par l'écologie et je voulais créer une habitation qui s'adapterait aux origines primitives de l'être humain. La mondialisation a commencé, les problèmes de pollution aussi, et mon intention, en plus de créer une maison contemporaine et futuriste, était de répondre aux besoins élémentaires des êtres humains : manger et dormir. Quarante ans plus tard, la conscience écologique est bien plus importante… Mais la Casa Orgánica renvoie aussi ce sentiment d'intemporalité via d'autres facteurs. Tout d'abord, les meubles sont intégrés dans l'espace, ce qui leur donne une touche personnalisée, chose qui n'aurait pas été le cas s'ils avaient été achetés en magasin car on aurait facilement retracé une époque. Il y aussi le placard de la chambre principale qui est très tendance de nos jours. Il est composé de nombreuses niches, provient de l'époque troglodyte et on le retrouve à Petra, Cappadoce et au Moyen-Orient. La forme de la maison, qui est aérodynamique, lui donne également un air de base spatiale ou d'objet futuriste. »

AD : La Casa Orgánica symbolise la rencontre harmonieuse entre l'habitat humain et le monde naturel. Dans quelle mesure cette vision est-elle encore pertinente aujourd'hui ? 

« Cette maison a été l'une des premières maisons intelligentes sans l'utilisation de la technologie contemporaine. »

« La Casa Orgánica utilise les ressources naturelles. Se balader dans le jardin, c'est marcher sur le toit de la maison sans s'en rendre compte. De l'extérieur, nous ne voyons que de l'herbe, des arbres et des fleurs qui, par évapotranspiration, produisent de l'oxygène, rejettent la pollution et filtrent la poussière et le dioxyde de carbone en créant un microclimat. À l'intérieur de la maison, la température varie de 18°C à 22°C et l'humidité de 40 à 60 % tout au long de l'année. Il fait chaud en hiver et frais en été. La terre abrite tandis que le soleil réchauffe, ils travaillent ensemble pour maintenir une température stable à l'intérieur de la maison. Un effet, qui aide également à la prévention des maladies respiratoires et des allergies. Les fenêtres ont été orientées vers le sud, pour ne pas manquer de soleil en hiver. La maison, qui est presque construite sous terre, est également un abri-sismique. »

AD : On aimerait comprendre certaines spécificités de la maison, comme marcher pieds nus par exemple… 

« L'inspiration de se balader pieds nus dans la maison vient de l'Extrême-Orient. Là-bas, on véhicule l'idée que nous transportons beaucoup d'énergie dans nos chaussures et qu'il est ainsi préférable de les laisser dehors. Le sol de la maison est recouvert d'un tapis couleur sable, pour que l'habitation et la terre se confondent. Cette même couleur a été donnée aux murs et au plafond pour obtenir une continuité chromatique. Pour accéder à l'intérieur de la maison, il faut emprunter une rampe en spirale ; conçue pour donner la sensation d'entrer dans la terre. De là, on peut accéder au reste de la maison. »

AD :  Quel message avez-vous souhaité transmettre ? 

« Le but initial était de créer des espaces semblables aux abris des animaux, aux igloos, à des espaces accueillants ; concaves comme les bras de la mère qui entourent l'enfant ; des espaces continus et larges qui libèrent la lumière et suivent le rythme naturel des mouvements de l'homme. Des espaces où le mobilier est intégré pour faciliter la circulation et le mouvement dans la maison. »

AD :  Avez-vous des regrets ? Quelque chose que vous auriez fait différemment, peut-être ? 

« Ma femme dit que les placards auraient pu être plus grands… mis à part ça, je ne pense pas que j'aurais fait grand-chose différemment. »

« Bien sûr, il y a eu quelques ajustements au fils des années. J'étais enthousiaste à l'idée de fabriquer une chambre froide en forme d'œuf mais ma femme a préféré opter pour un réfrigérateur classique. Les toilettes devaient être en ferro-ciment mais cela n'a pas été fait pour des raisons d'hygiène, j'ai pourtant découvert plus tard qu'elles étaient vendues en ferro-ciment dans le commerce... »

AD : Quels sont vos sentiments à l'égard de cette maison ? 

« Quand j'entre dans la Casa Orgánica, je ressens toujours la tranquillité et la chaleur que cette maison dégage. »

AD : Une anecdote à nous confier ? 

« Lorsque ma fille aînée était en primaire, l'école a demandé à chaque élève de dessiner sa maison. Ma fille a vécu toute sa vie à la Casa Orgánica, vous pouvez donc imaginer son dessin... L'enseignante, choquée, a souhaité nous rencontrer. Lorsque ma femme s'est rendue à l'école pour le rendez-vous et qu'elle a compris de quoi il s'agissait, elle a commencé à rire et a dit que c'était peut-être moi qui devait venir expliquer la situation… »

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